Un arrêt du 23 mai 2013 de la Cour de Cassation a jugé que l’existence d’un différend n’affecte pas la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail (consultez avec profit l’excellente Chronique de Marie HAUTEFORT dans Les Echos du 31 mai 2013 : « Conflit et rupture conventionnelle sont-ils compatibles ? »)
Rupture conventionnelle française inspiré du compromise agreement anglais
On rappellera que la
rupture conventionnelle du contrat de travail est un moyen pour l’employeur et le
salarié de se séparer par voie contractuelle. Le processus français est
directement inspiré du compromise
agreement de droit social anglais, utilisé couramment par les entreprises
britanniques et leurs salariés (*). La philosophie de cette méthodologie est de
préférer le compromis au contentieux, coûteux et chronophage, et aussi de
tenter de vider d’une partie de son caractère émotionnel un processus qui
devient alors un « divorce sans faute » : moyennant le versement
d’un montant librement négocié entre les parties, le salarié quitte
l’entreprise et s’engage par contrat à mettre fin à tout contentieux lié au
licenciement. Pour la protection du salarié, la validité de l’accord est
subordonnée à ce qu’il soit visé par son conseil, indépendant de l’entreprise.
Résultat positif pour tous : i) certitude juridique pour l’entreprise– pas
de possibilité de remise en cause de l’accord après-coup ; ii) protection
du salarié qui est conseillé indépendamment ; iii) le contentieux, source
de coûts, de stress et d’incertitude pour tous, est évité. Le pragmatisme
triomphe sur l’égotisme.
Conflit ou pas conflit, that is the question ?
Hors la Cour de Cassation a jugé bon de préciser dans cet
arrêt récent que « l’existence d’un
différend n’affecte pas la validité de la rupture conventionnelle ».
La plaignante avait en effet remis en cause la validité de l’accord en arguant
qu’il était impossible de conclure une rupture conventionnelle sur fond de
litige. Le praticien de droit anglais que je suis a lu cette phrase avec
incrédulité : l’essence même de la rupture conventionnelle/compromise agreement n’est-elle pas
d’offrir une alternative au contentieux ? Le fait même qu’un accord soit
négocié ne présuppose-t-il pas qu’un contentieux existe ? C’est bien sur
le cas en droit anglais. On voit ici une différence fondamentale de l’approche
des deux systèmes juridiques : i) au cas présent, le droit et les usages français
avaient permis à la salariée de remettre en cause un accord conclu avec son employeur
– accord pourtant homologué par l’administration ; ii) le mécanisme du « compromise agreement » de droit
anglais évite une telle incertitude, tout en garantissant la protection du salarié
par l’opération du visa de l’accord par un conseil indépendant – sans ce visa,
l’accord ne lie pas le salarié, offrant ainsi une garantie contre les tentatives
de pression de la part de l’employeur.
Le salarié anglais est loin d’être sans défense
Le deuxième argument de la plaignante était aussi qu’une telle
pression indue avait été exercée sur elle pour conclure un accord et dans ce
contexte son ‘consentement‘ était vidé de son sens. La Cour de Cassation a confirmé
l’arrêt de la Cour d’Appel sur ce point. Il est bien normal que toute pression exercée
sur un(e) salarié(e)
fasse l’objet d’une vigilance particulière. En droit
anglais, l’autre moyen de défense efficace du salarié sur l’entreprise est la menace
toujours présente d’un recours devant les juridictions prud’hommales, possible jusqu’à
ce que l’accord soit signé et le montant de dédommagement négocié soit
effectivement versé au salarié – nombre de compromise
agreements sont d’ailleurs négociés et signés alors même qu’un tel recours a été
déposé. Le retrait de celui-ci suit la signature de l’accord, le tribunal de prud’hommes
entérinant donc l’existence d’un accord.
Conclusion
La Cour d’Appel a commis l’erreur de juger qu’il était
impossible de conclure une rupture conventionnelle sur fond de litige. Doit-on y
voir un manque d’habitude de manipuler ce concept – préférer un compromis à un contentieux
– venu du droit anglais ? Il y aussi peut- être le soucis – légitime mais
maladroit en l’occurrence – de protéger au mieux
les intérêts du salarié ?
Au-delà de ces considérations,
il reste vrai que pour un esprit français, compromettre c’est aller sur la
pente dangereuse de l’admission de culpabilité, sur le mode : « si l’entreprise paye, c’est bien qu’elle a
bien quelque chose à se reprocher » – ou en maltraitant un dicton
populaire : « pas de compromis
sans feu ». C’est méconnaitre le fameux esprit pragmatique de nos amis
britanniques. En signant un compromise
agreement, l’entreprise fait un calcul purement économique entre deux
options, où l’émotionnel n’a pas place :
i) honoraires pharaoniques + incertitude du contentieux +
coûts indirects de temps mobilisé et effet ‘polluant’ au sein de l’entreprise =
beau contentieux ;
ou
ii) compromis sans ego + versement d’un montant négocié + économie de temps de gestion du conflit = compromis.
La rupture conventionnelle du contrat de travail a rencontré
un franc succès depuis son introduction en droit français il y a 5 ans. Il
reste aux praticiens, aux instances prudhommales et aux tribunaux d’en
apprendre les subtilités pour continuer d'apaiser une situation naturellement conflictuelle.
(*) Le
Cercle d’outre-manche (dont je suis membre) fut à l’origine de cette
proposition, qui devint loi en France en 2008 (« 6 mois, 6 mesures – Pour que la France repasse
devant le Royaume-Uni », publié en juin 2007 (www.cercledoutremanche.com/pages/nos-rapports).