16.8.13


Nouvelles d’été

Quelques nouvelles d'été pêle-mêle, au menu : du juridique et quelques observations à caractère conjoncturel-sociétal, pertinentes quand on gère une entreprise au UK ou qu’on y envisage une implantation. Bonne lecture.

 

Droit social – Frais de contentieux pour les salariés initiant une procédure


Je l’avais annoncé dans mon blog post du 30 janvier dernier (voir infra) et un article dans http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/juridique/221144912/deux-propositions-continuer-a-fluidifier-droit-social-anglais . A compter du 29 juillet 2013, tout salarié qui intente un recours devant les « Industrial Tribunals » (ou « IT », conseils de prud’hommes) contre son employeur devra s’acquitter de frais de procédure en amont, dont le montant varie en fonction du type de recours. A titre d’exemple, pour les cas les plus courants (liste non-exhaustive) :

·        licenciement abusif (« unfair dismissal ») ; discrimination : 250 £ pour émettre le recours formel (« issue of claim ») et 950 £ quelque 6 semaines avant la comparution elle-même ; 

·        conflits liés au montant de salaire ou d’indemnités ; conflits liés au non-respect des obligations sur le temps de travail et certains congés statutaires ; défaut de consultation au titre de « TUPE » : 160 £ et 230 £ respectivement. 

L’argument avancé pour l’introduction de ces paiements est double : i) financer les coûts de fonctionnement de l’administration de la justice ; ii) dissuader les recours sans aucun fondements. Il faudra attendre pour juger avec pertinence si ce second objectif est atteint. Il est certain qu’avec un montant moyen de dommages-intérêts (« award ») attribué par les IT de 4 560 £ pour licenciement abusif (soit quelque 5 350 €) en 2011-12, il pourrait être dissuasif pour un salarié d’intenter un recours sans grand fondement, alors que les frais de procédure représenteraient potentiellement plus d’un quart de ce que ce salarié peut espérer récupérer si l'entreprise est condamnée. Toutefois, il est à prévoir qu’en cas de transaction, le salarié inclura ces frais dans sa négociation.


 

Mark CARNEY, nouveau Gouverneur canadien de la Banque d’Angleterre, essaie de casser le « boom and bust », ou comment le Gouverneur tente de sevrer le pays du culte du court terme



Boom and bust, la balancier fou de l’économie britannique


L’un des fléaux de l’économie de ce pays depuis 50 ans et plus est la tendance au « boom and bust » – fluctuations brutales entre croissance et récession. C’est un facteur, entre autres, de création de bulles spéculatives (l’immobilier en est un exemple frappant), qui ne font ensuite qu’empirer le phenomène et, tel un balancier fou, le mouvement est très difficile à enrayer. Les gouvernements successifs, toutes couleurs politiques confondues, ont fait des déclarations de guerre (sans doute sincères) contre le boom and bust, toutes aussi régulières que peu suivies d’effets. Mark CARNEY, tout nouveau Gouverneur de la Banque d’Angleterre – surnommée affectueusement « The Old Lady of Threadneedle Street », « Old Lady » pour faire court (*)


Le tandem inédit taux de base bancaire-chômage

 

Non content de créer l’évènement par sa seule nomination – il est le premier non britannique à occuper ce poste depuis la création de la Banque d’Angleterre en 1694 – le Gouverneur vient de frapper les esprits en dévoilant un nouvelle approche de la politique de fixation du taux de base bancaire, rôle central de la Banque : le tandem inédit taux de base bancaire-chômage. Dans un pays habitué aux taux d’emprunt immobilier flottants, qui suivent donc les évolutions du taux de base bancaire, tout changement de ce taux a un effet quasi-immédiat sur les mensualités versés par les ménages britanniques pour leur emprunt immobilier, et donc leur pouvoir d’achat, et donc la santé d’une économie très dépendantes de la consommation des ménages. Les banques répercutent en effet immédiatement l’ajustement opéré par la Banque sur leurs clients. Hors le « Monetary Policy Committee » (« MPC ») de la Banque se réunit une fois par mois pour décider entre autre du taux de base bancaire pour le mois à venir. Si ce taux est maintenu au niveau historiquement bas de ½ % depuis mars 2009, il a été sujet dans le passé à des variations parfois mensuelles ! Encore un facteur de cour-terminisme qui ne peut que favoriser le boom and bust… La décision mensuelle du MPC est un évènement médiatique important, très suivi par un pays dopé à la consommation, et dont la presse se fait l’écho. Mais Mark CARNEY a décidé de lier le changement de taux de base à un critère inconnu jusque-là au UK : le chômage ! Celui-ci pointe à 7,8% et le Gouverneur n’envisage de hausse du taux de base bancaire que lorsqu’il aura atteint 7%, soit quelque 750,000 demandeurs d’emplois en moins. Il estime que ce cap ne sera pas franchi avant 2016, envisageant donc un horizon très long (pour le UK au moins) pour un taux de base bas et stable. Le principal critère officiel de pilotage du taux d’intérêt – à la hausse comme à la baisse – était depuis longtemps l’inflation : le taux de base bancaire servait d’instrument de régulation de celle-ci, considérée comme l’ennemi public No1 de l’économie britannique.

 Mark CARNEY: « les banques doivent redevenir socialement utiles »


Même si la maîtrise de l’inflation reste une tâche très importante de la Banque – un dérapage important de celle-ci pourrait amener le MPC à revoir sa vision du taux d’intérêt lié au destin du taux de chômage – ce changement radical de priorité a valu au nouveau Gouverneur beaucoup de critiques, de la presse financière notamment. Il a clairement aussi énoncé ses priorités en déclarant que « les banques courent le risque de devenir socialement inutiles, à moins qu’elles de ne concentrent sur l’économie réelle et aident les entreprises à investir et créer des emplois ». Les critiques de la nouvelle approche du MPC et du Gouverneur ont été assez nombreuses. Certaines, d’ordre techniques et monétaristes, sont peut-être justifiées. Mais le pilotage au mois le mois du taux de base avait la double conséquence de mettre régulièrement en première page la décision du MPC sur le taux de base bancaire, ce qui ne pouvait que servir les intérêts de la presse qui en débatait ad noseam, et de contribuer plus largement à maintenir la finance au cœur de la vie publique.
 
La nouvelle orientation de la Banque sous l’impulsion de son nouveau Gouverneur aura peut-être des effets indirects et indiscutablement positifs : rééquilibrer l’économie en réduisant, même symboliquement, le rôle de la finance dans l’économie et la vie du pays ; réduire la dépendance du UK aux mesures à court terme ; et par extension, tenter de freiner le balancier fou du boom and bust.



(*) Surnom de la Banque, pas de Mark CARNEY



 


 

3.6.13

Droit social – Rupture conventionnelle de droit français et « compromise agreement » de droit anglais : le choc des cultures


Un arrêt du 23 mai 2013 de la Cour de Cassation a jugé que l’existence d’un différend n’affecte pas la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail (consultez avec profit l’excellente Chronique de Marie HAUTEFORT dans Les Echos du 31 mai 2013 : « Conflit et rupture conventionnelle sont-ils compatibles ? ») 

Rupture conventionnelle française inspiré du compromise agreement anglais

 

On rappellera que la rupture conventionnelle du contrat de travail est un moyen pour l’employeur et le salarié de se séparer par voie contractuelle. Le processus français est directement inspiré du compromise agreement de droit social anglais, utilisé couramment par les entreprises britanniques et leurs salariés (*). La philosophie de cette méthodologie est de préférer le compromis au contentieux, coûteux et chronophage, et aussi de tenter de vider d’une partie de son caractère émotionnel un processus qui devient alors un « divorce sans faute » : moyennant le versement d’un montant librement négocié entre les parties, le salarié quitte l’entreprise et s’engage par contrat à mettre fin à tout contentieux lié au licenciement. Pour la protection du salarié, la validité de l’accord est subordonnée à ce qu’il soit visé par son conseil, indépendant de l’entreprise. Résultat positif pour tous : i) certitude juridique pour l’entreprise– pas de possibilité de remise en cause de l’accord après-coup ; ii) protection du salarié qui est conseillé indépendamment ; iii) le contentieux, source de coûts, de stress et d’incertitude pour tous, est évité. Le pragmatisme triomphe sur l’égotisme.
 

Conflit ou pas conflit, that is the question ?

 
Hors la Cour de Cassation a jugé bon de préciser dans cet arrêt récent que « l’existence d’un différend n’affecte pas la validité de la rupture conventionnelle ». La plaignante avait en effet remis en cause la validité de l’accord en arguant qu’il était impossible de conclure une rupture conventionnelle sur fond de litige. Le praticien de droit anglais que je suis a lu cette phrase avec incrédulité : l’essence même de la rupture conventionnelle/compromise agreement n’est-elle pas d’offrir une alternative au contentieux ? Le fait même qu’un accord soit négocié ne présuppose-t-il pas qu’un contentieux existe ? C’est bien sur le cas en droit anglais. On voit ici une différence fondamentale de l’approche des deux systèmes juridiques : i) au cas présent, le droit et les usages français avaient permis à la salariée de remettre en cause un accord conclu avec son employeur – accord pourtant homologué par l’administration ; ii) le mécanisme du « compromise agreement » de droit anglais évite une telle incertitude, tout en garantissant la protection du salarié par l’opération du visa de l’accord par un conseil indépendant – sans ce visa, l’accord ne lie pas le salarié, offrant ainsi une garantie contre les tentatives de pression de la part de l’employeur.
 

Le salarié anglais est loin d’être sans défense

 
Le deuxième argument de la plaignante était aussi qu’une telle pression indue avait été exercée sur elle pour conclure un accord et dans ce contexte son ‘consentement‘ était vidé de son sens. La Cour de Cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel sur ce point. Il est bien normal que toute pression exercée sur un(e) salarié(e) fasse l’objet d’une vigilance particulière. En droit anglais, l’autre moyen de défense efficace du salarié sur l’entreprise est la menace toujours présente d’un recours devant les juridictions prud’hommales, possible jusqu’à ce que l’accord soit signé et le montant de dédommagement négocié soit effectivement versé au salarié – nombre de compromise agreements sont d’ailleurs négociés et signés alors même qu’un tel recours a été déposé. Le retrait de celui-ci suit la signature de l’accord, le tribunal de prud’hommes entérinant donc l’existence d’un accord.
 

Conclusion


La Cour d’Appel a commis l’erreur de juger qu’il était impossible de conclure une rupture conventionnelle sur fond de litige. Doit-on y voir un manque d’habitude de manipuler ce concept – préférer un compromis à un contentieux – venu du droit anglais ? Il y aussi peut- être le soucis – légitime mais maladroit en l’occurrence  – de protéger au mieux les intérêts du salarié ?

Au-delà de ces considérations, il reste vrai que pour un esprit français, compromettre c’est aller sur la pente dangereuse de l’admission de culpabilité, sur le mode : « si l’entreprise paye, c’est bien qu’elle a bien quelque chose à se reprocher » – ou en maltraitant un dicton populaire : « pas de compromis sans feu ». C’est méconnaitre le fameux esprit pragmatique de nos amis britanniques. En signant un compromise agreement, l’entreprise fait un calcul purement économique entre deux options, où l’émotionnel n’a pas place :

i) honoraires pharaoniques + incertitude du contentieux + coûts indirects de temps mobilisé et effet ‘polluant’ au sein de l’entreprise = beau contentieux ;

ou

ii) compromis sans ego + versement d’un montant négocié + économie de temps de gestion du conflit = compromis.

La rupture conventionnelle du contrat de travail a rencontré un franc succès depuis son introduction en droit français il y a 5 ans. Il reste aux praticiens, aux instances prudhommales et aux tribunaux d’en apprendre les subtilités pour continuer d'apaiser une situation naturellement conflictuelle.

 

(*) Le Cercle d’outre-manche (dont je suis membre) fut à l’origine de cette proposition, qui devint loi en France en 2008 (« 6 mois, 6 mesures – Pour que la France repasse devant le Royaume-Uni », publié en juin 2007 (www.cercledoutremanche.com/pages/nos-rapports).

19.4.13

La face cachée de l'immobilier britannique

La ville la plus chère du monde ?
« Londres regagne sa couronne de ville la plus chère au monde pour l’immobilier de bureaux ». Le titre du dernier rapport annuel sur le marché immobilier mondial, publié par le cabinet Cushman & Wakefield il y a quelques semaines, est sans ambiguïté : Londres tient bien une place centrale dans l’écosystème de l'investissement immobilier international.

L’image ci-dessous * en offre une autre illustration : au premier semestre 2012, Londres a été la destination de près de 50% de tous les investissements en immobilier commercial en Europe (provenance hors Europe) ; Paris se classe un lointain second (17%). Il faudrait ajouter que ces investissements se sont concentrés sur certains quartiers centraux de la capitale, poches de richesse dans un Grand Londres assez contrasté. L’argent attirant l’argent, et l’une des clefs pour un investisseur étant un marché liquide, Londres remplit cette condition admirablement, parmi d’autres qualités.
 


L’écosystème immobilier britannique : le « landlord » a le temps pour lui
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Définitivement oui, si vous êtes un des acteurs de cette véritable industrie qu'est le monde de l'immobilier britannique : le « landlord » (notez la connotation mediavale, qui a pour lui un droit immobilier très protecteur de ses intérêts ; l’agent immobilier ; le « chartered surveyor », expert qui a pignon sur rue et aussi intermédiaire incontournable dans toute négociation immobilière ; le « solicitor », le droit anglais ne connaissant pas le notaire à la française, il se charge de la rédaction et négociation du contrat de bail et de toute la documentation (abondante !) nécessaire à formaliser un droit au bail. Pas forcément si vous êtes une entreprise qui a simplement besoin de locaux pour y loger vos salariés ou vendre vos produits : loyers élevés (avec revue à la hausse uniquement, typiquement tous les 5 ans) ; charges considérables – les fameuses « Business Rates », impôts locaux versés à la commune, peuvent représenter 30-50% de la valeur du loyer ; baux longs (10/20 ans sont courant) dont vous ne pouvez pas sortir, à moins de trouver un repreneur et d’obtenir l’accord de votre landlord. Les quartiers haut de gamme du centre de Londres – Mayfair en tête – sont détenus par quelques familles ou trusts depuis des siècles, ce qui contribue à un certain immobilisme du droit et des pratiques. A tire d’exemple, il y a quelques années j’avais négocié pour une grande marque française l’achat du bail de l’immeuble dans lequel ils louent un magasin. Le landlord ultime était le « Mayor and Commonalty and Citizens of the City of London » (nom commun : « City of London »). Durée du bail : 2 000 ans ! Les landlords anglais ont vraiment le temps pour eux…

La réponse du marché : des solutions flexibles
Face à ce marché de l’immobilier commercial très rigide pour les locataires, on comprend mieux l’éclosion des centres d’affaires. Bonne nouvelle pour les nouveaux entrants dans les métiers de service, qui n’ont pas besoin de magasin dans les quartiers commerçant. L’éventail d’offres est très variée et les prix à l’avenant, du plus simple, bon marché au plus sophistiqué, assez coûteux. Leur dénominateur commun : la flexibilité, attribut sans prix pour une entreprise qui démarre dans un nouveau marché et ne sait donc pas de quoi demain sera fait : repli rapide ou expansion fulgurante, la flexibilité est clef. Pour le secteur du commerce de détail, il faut être très bien préparé à ce marché aux caractéristiques uniques, et prévoir un budget conséquent.  

L’immobilier, squatter dans la stratégie des entreprises
On parle beaucoup de la finance comme un secteur (trop ?) prédominant de l'économie du Royaume-Uni. On oublie trop vite le secteur immobilier et son poids immense : poids direct en terme de chiffre d'affaire généré par tous les acteurs du secteur ; poids indirect par son effet 'polluant' sur la stratégie des entreprises, simples occupantes de locaux. Nombre de nouveaux entrants sur le marché britannique sous-estiment à leur péril l'importance de l'immobilier, tant dans la vie quotidienne que dans les décisions stratégiques ; au quotidien, le prix de l'immobilier vient souvent remettre en cause les modèles économiques bien établis – les groupes qui distribuent leurs produits en magasin (secteur du luxe ; distribution alimentaire) doivent ainsi revoir leur politique de prix, leur 'point mort' étant mécaniquement relevé par la cherté des loyers et des charges diverses ; quant à la sphère stratégique, l'immobilier s'y invite bien souvent, et se comporte comme un immense rocher au milieu du courant, immobile et contournable seulement au prix d'efforts disproportionnés. La cause en est l'inflexibilité et la longue durée des baux commerciaux. Alors que dans nombre d'autres juridictions, l'immobilier fait partie de l'intendance – et comme on le sait, « l'intendance suivra » – l'immobilier au Royaume-Uni est un véritable squatter de la stratégie de l'entreprise, qu’elle le veuille ou non. Un locataire doit impérativement le comprendre et l’intégrer à son raisonnement, faute de quoi les erreurs se payent très cher.

 
Olivier Morel
19 avril 2013  




* Ce tableau est paru dans le chapitre « BTP & Immobiler » du rapport annuel 2012 des Conseillers du Commerce Extérieur de la France - Section UK : « Crise + 5 , où en est le Royaume Uni ? » -  www.ccegb.org/publications_1. Ce chapitre est le fruit du travail de Madani Sow, Chairman Bouygues UK & Warings ; Marc Reboux, Senior Director EMEA Tenant Representation ; et Lionel Ravix, Managing Director British Isles, Vinci Constructions Grands Projets.


 




30.1.13

Royaume-Uni - Une récession sans chômage ? Flexibilité mon cher Watson !

Labour isn't working (Conservative, 1979)

« Labour isn't working » - L'affiche est un classique de la publicité politique britannique : jeu de mot entre « labour » (travail et parti travailliste) et « working » (travailler et fonctionner), sur fonds d'une longue queue de chômeurs. L'image est inséparable du retour au pouvoir du Parti Conservateur en 1979, Margaret Thatcher à leur tête, brocardant par cette image choc les recettes travaillistes « qui ne marchent pas ». Les Travaillistes ne retrouveront plus le 10 Downing Street avant l'élection de 1997 et la nomination de Tony Blair, après 18 ans d'opposition.

Le chômage sous 8% en moyenne sur 4 ans – Les temps ont donc bien changé depuis l’arrivée au pouvoir de la « Dame de Fer », il y a plus de 33 ans ! Au début de la crise actuelle, fin 2008, le consensus des économistes respectés était qu'on atteindrait le chiffre fatidique de 3 millions de demandeurs d'emplois fin 2009 (il avait dépassé ce montant pour la dernière fois en 1986). 

A l'heure où la zone euro publie des chiffres du chômage de 11.8% à fin novembre 2012, le Royaume-Uni vient d’annoncer que le nombre de demandeurs d’emplois avait baissé à 7,7% de la population active à la même date. 4 points d’écart significatifs, alors même que :

«        plane la menace d’un « treble dip » (une troisième plongée en récession) à l'aube de 2013 –  l’économie s’est en effet contractée de 0,4% au 4eme trimestre 2012 et le PIB reste encore de 3% inférieur à son pic de 2008 ; 

«        les perspectives de reprises sont très aléatoires ; 

«        la dette publique ne baisse pas aussi vite que l'avait prévu le gouvernement de coalition quand il lançait son programme de rigueur, le plus rigoureux des pays du G20, au lendemain de son élection en 2010 ; 

«        la perte de son statut AAA par le Royaume-Uni en 2013 n'est plus une simple hypothèse - pour beaucoup ce n'est plus un « if » mais un « when ». 

En bref, les grands indicateurs britanniques ne sont pas si différents de ceux de la France, sauf… le nombre de demandeurs d’emploi : il n'a jamais dépassé 2,6 millions. Le chômage pointe toujours sous 8%, ayant atteint un étiage bas de moins de 5% en 2005 et n'ayant jamais dépassé 8,4% pendant les 4 ans et demi de crise que nous venons de traverser. Les annonces récentes des derniers groupes de distribution– Jessops, HMV et Comet – victimes de la récession et de la migration des consommateurs vers l’Internet viendront probablement vite tempérer ces bons résultats. Il demeure que cette récession sans chômage reste un peu inexpliquée.  Qu'est-ce qui sous-tend cette performance étonnante ? 

Vous avez dit « flexiblity » - Il y a peut-être d’autres facteurs plus complexes, mais il demeure que la fameuse flexibilité (du marché et des salariés) n’y est probablement pas étrangère : 

«        le droit social anglais prévoit une période d'essai effective de deux ans : un employeur peut demander à tout salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté de quitter l'entreprise sans aucune procédure et le salarié n’a pas de recours contre le licenciement abusif pendant les deux premières années d’emploi – voir sur le sujet mes articles « Deux propositions pour continuer à fluidifier le droit social anglais » et « L’équation vertueuse paradoxale du droit social anglais : faciliter le licenciement = encourager l’embauche » ici : www.crippslaw.com/services/specialist-sectors/international.aspx#insight.html. 

«        confrontées à une baisse de leurs carnets de commandes, nombre d'entreprises de secteur tertiaire recourent à une forme de chômage partiel ; bien des salariés ont accepté de réduire leurs heures de travail, descendant à des semaines de 4 – voir 3 – jours, avec baisse de salaire correspondante ; l’alternative étant le licenciement économique sec, le choix de beaucoup de salariés fut rapide ; une autre formule, populaire parmi de jeunes salariés qui pouvaient se replier sur leur famille, fut la prise d’un congé sans solde, typiquement 6-9 mois, moyennant versement d’une indemnité (typiquement équivalente à trois mois de salaire) ; le salarié avait la possibilité d’être réembauché à l’issue de la période si/quand l’activité le permettait à nouveau; mais il avait aussi le loisir de chercher un autre emploi entretemps ; ces deux méthodes permirent à nombre de sociétés d’espérer convaincre des salariés sur lesquels elles avaient beaucoup investi sur le long terme de rester dans l’entreprise. 

Le Larousse définit « flexible » ainsi : « qui se plie, se courbe aisément » ; « qui se plie aux diverses circonstances » ; « qu'on peut adapter aux circonstances particulières ». Pas de doute, le droit social anglais et les usages répondent bien à la définition.

Précisions importantes : les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté sont loin d’être sans protection. Le droit social anglais permet à tout employé qui s’estime victime de discrimination - raciale, sexuelle, religieuse, âge, handicap – d’intenter un recours contre son employeur. Cette voie est ouverte dès l’embauche – et même avant celle-ci, puisque que tout candidat malheureux s’estimant victime de discrimination à travers le processus de recrutement a une voie de recours contre la société. 

Outre la flexibilité du droit social, une autre explication de la relative faiblesse du nombre de demandeurs d’emplois britanniques vient probablement aussi du très faible niveau des indemnités, sans rapport avec le dernier salaire : 307,66 £ par mois  (chômeurs de 25 ans et plus, baissant à 243,75 £ pour les 18–24 ans). Il existe aussi des restrictions pour toute personne détentrice d’épargne : non-éligibilité aux indemnités-chômage à partir de 16 000 £ d’économies. Le message est clair : si vous avez un bas-de-laine, puisez dedans plutôt que de recourir à l’Etat. 

Quelle leçon tirer de ce paradoxe d’une récession sans chômeurs ? Peut-être que la facilité de débaucher dont dispose l’employeur britannique encourage l’embauche, le patron de PME sachant qu’en cas de baisse de régime, il pourra licencier assez facilement. Et cette approche est en pratique assez largement acceptée par la Société britannique, qui reconnait la nature à haut risque de l’entreprenariat. 
 

Olivier Morel
30 janvier 2013